A l’occasion du 41ème
anniversaire
de la mort du président Ngô Đình Diệm
Ayant foi en la pérennité de notre
civilisation à base spiritualiste que tous les citoyens ont le devoir de faire
rayonner ;
Ayant foi en la
valeur transcendante dans la personne humaine dont le développement libre,
harmonieux et complet sur le plan individuel comme sur le plan communautaire
doit être l’objectif de toute activité étatique ;
Conscients de ce que
la Constitution doit satisfaire les aspirations de la Nation entière, de la
pointe de Cà-Mau à la porte Nam-Quan, ces aspirations étant : …
………………………………..
……………………………………
NOUS, Membres de l’Assemblée Nationale
Constituante,
Après délibérations,
adoptons la Constitution……. (qui sera promulguée le 26 octobre 1956, date de la
Première République du Vietnam) – Extraits du PREAMBULE de la Constitution.
Le point de rencontre des philosophies
occidentales et orientales :
Du personnalisme d’inspiration chrétienne
à l’humanisme
politique vietnamien
Lê Mộng Nguyên *
Orient-Occident : c’est le choc des
cultures mais c’est aussi la contribution, de par leur union, à la renaissance de l’humanisme politique au
Vietnam à un moment où la guerre fratricide entre le communisme athée au Nord
du dix-septième parallèle et la République libérale du Sud dont le président Ngô
Đình Diệm assuma entièrement le destin de 1954 à 1963. L’un des principaux
thèmes de cette doctrine de l’homme, s’inspire
à la fois de l’Enseignement évangélique et de la Logique grecque (la vie
communautaire connaissant son apothéose en Grèce antique) dans l’organisation
platonicienne de la Cité. D’autre part, grâce au travail d’approfondissement
purement chrétien, le personnalisme reconnaît l’autonomie et l’indépendance
spirituelle de chaque personne. Deux idées à la fois nécessaires et suffisantes
doivent constituer la charpente de la philosophie générale du personnalisme
(ancêtre de la défense des droits de l’homme) : la reconnaissance de la
valeur suprême de l’être humain et l’obligation naturelle pour celui-ci de
vivre en société. L’origine lointaine du personnalisme vietnamien s’explique
conséquemment par la distinction métaphysique entre la personne et l’individu
ou encore entre la personnalité et l’individualité, et par le règlement des
rapports de l’homme avec la communauté politique.
C’est parce que Saint Thomas d’Aquin et
les personnalistes de la lignée thomiste (d’inspiration évangélique) s’élèvent
contre toute théorie sociale fondée sur la primauté de l’individu que nous
devons séparer dès l’origine – et dans le principe même – l’individualité et la
personnalité. L’expérience de l’individualisme excessif des révolutionnaires français de 1789 a sans
doute donné naissance au totalitarisme fondé à l’origine sur la vie
communautaire en sacrifiant délibérément l’individu. De son côté, le personnalisme chrétien prône la sauvegarde de la valeur
humaine contre tout abus de l’individualisme pouvant mener à l’anarchie. Il
lutte également contre toute conception exclusivement communautaire à laquelle
adhèrent les régimes collectivistes. On peut, dès lors, résumer les grandes
lignes de la théorie du personnalisme
classique dont s’inspire pour une large part l’humanisme politique
vietnamien : reconnaissance de la valeur suprême de la personne humaine, respect
par les autres de ses droits et intérêts, obligation pour elle de respecter les
droits et intérêts d’autrui. Voilà les raisons pour lesquelles l’on peut
affirmer que l’humanisme politique doit être à la fois personnaliste et
communautaire.
Mais pourquoi faut-il distinguer
l’individualité de la personnalité ? Sans entrer dans les détails de la
métaphysique, il faut bien convenir qu’il existe chez l’homme deux réalités
distinctes : l’individuelle et la personnelle. C’est la distinction faite par les philosophes personnalistes
d’inspiration chrétienne notamment Jacques Maritain (réf. J. Maritain, Les
droits de l’homme et la loi naturelle, P. Hartmann, éditeur, Paris
1947 ; Christianisme et démocratie, ibid. ; La
personne et le bien commun, Desclée de Brower et Cie, éditeurs, Paris
1947 ; v. aussi E. Mounier, Le personnalisme, PUF, Paris 1959). Si
l’homme n’est soucieux que de son côté individuel, il devient solitaire,
renfermé, égoïste et méprisant la vie sociale. D’où « le moi est
haïssable de Pascal », qui est à l’origine des excès des démocraties
absolument individualistes. La prépondérance de la réalité personnelle par
contre, fait de l’homme la source d’indépendance et de liberté en même temps
que son plein épanouissement dans la société. Il communique ainsi librement
avec l’Absolu, sa patrie spirituelle. Alors, on peut dire avec Saint Thomas
d’Aquin (S. Théol., I, 29, 3) que « la personne est ce qu’il y a de plus
noble et de plus parfait dans toute la nature ».
Encore faut-il – en vue d’aboutir à un
« humanisme intégral » - insister sur la discipline sociale que l’on
doit exiger des citoyens obligés à vivre en relation étroite avec la communauté politique. N’est-il pas
vrai que la personne en tant que telle,
comporte l’élan vers autrui ? Elle dépasse l’individu précisément par son
rôle qu’elle assume dans la société des hommes. C’est d’ailleurs une chose tout
à fait naturelle. Car vivre en homme « sans aller parmi les hommes »
et « sans respirer avec nos semblables » (J. Maritain, op. cit.), est
absurde. Il s’ensuit que chaque personne a
normalement tendance à s’intégrer dans la communauté. Le mot d’Aristote
« l’homme est un animal politique » signifierait alors que l’homme
aimerait de préférence s’entourer d’humains, être parmi ses semblables.
C’est à cette conception communautaire
tirée de la « logique grecque » que nous avons fait allusion au
début lorsque nous parlions de rencontre
entre l’Occident et l’Orient. Confucius lui-même n’a-t-il pas rêvé de réaliser
un monde universel où les hommes sont le bien commun (đại đạo chi hành dã,
thiên hạ vị công) ? Donc, personnalisme implique communauté. La
question se pose alors de savoir si l’homme est fait pour la société, ou
inversement.
Selon le capitalisme ou individualisme
bourgeois, le bien commun n’étant que l’addition des biens individuels, l’Etat
ne doit veiller qu’à la sécurité de chaque individu qui est quant à lui, libre
de faire ce qu’il veut. Il en résulte que les forts peuvent opprimer les
faibles : la société est faite pour l’homme. Dans la conception
communiste, la société est plus importante que l’individu. Cette société
matérialiste et athée constitue bien évidemment la finalité de chacun d’entre
nous : « L’Etat garantit les droits du citoyen ; le citoyen
doit remplir ses devoirs envers l’Etat et la société » (article 51,
alinéa 2 de la Constitution du 15 avril 1992 de la RSVN). L’individu dans ce
contexte doit naturellement tout sacrifier
pour la communauté : l’homme est fait pour la société. Ā en
croire les tenants du personnalisme chrétien, les conceptions tant capitaliste
que marxiste sur le bien commun, s’avèrent fausses parce qu’elles ignorent
qu’il y a deux réalités dans l’être
humain : la personnelle et l’individuelle. Problème délicat auquel nous
avons fait allusion plus haut.
L’homme en raison de sa réalité
personnelle, a une âme qui n’est limitée
par aucun Etat, par aucune société politique. Par là, il communie librement
avec l’Eternité. Il en résulte l’erreur du
collectivisme étatique qui n’admet que la puissance temporelle, et
l’abus de l’individualisme bourgeois dont les principes imposent au pouvoir la
responsabilité de faire le bonheur d’une poignée d’individus se suffisant à
eux-mêmes. Entre ces deux pôles, le personnalisme d’inspiration chrétienne
préconise une politique à la fois personnaliste et communautaire, qui repose
sur le respect de la personne humaine dans le respect corrélatif de la communauté.
Les origines de l’humanisme vietnamien
résident probablement dans les pratiques rituelles ou dans les philosophies
typiquement orientales. C’est pourquoi la théorie générale du personnalisme,
qui puise son inspiration dans l’enseignement chrétien, ne doit sa profonde
pénétration en Extrême-Orient qu’aux vertus millénaires des peuples d’Asie qui
ont toujours reconnu la dignité humaine et cru en l’immortalité de l’âme et les
qualités transcendantes de l’esprit. Nous ne parlerons pas – dans le cadre
étroit de cet essai – des influences bouddhique et confucéenne dans la croyance
populaire vietnamienne quant à la supériorité de l’âme sur la matière. Nous
rechercherons seulement la source de l’humanisme vietnamien dans la conception
asiatique de l’homme et laisserons toutes les questions pendantes à une
prochaine étude plus étoffée.
En effet, les Vietnamiens sont depuis toujours un peuple profondément
croyant. Témoin leur pratique du culte des ancêtres, une pratique enracinée si
l’on peut dire, dans les cœurs des familles les plus humbles et les plus
modestes. Ā leurs proches disparus, nos compatriotes témoignent une très grande
affection. Ils croient en l’éternité de l’esprit (chose immatérielle) et
continuent à vénérer leurs morts. Ces
derniers n’ont-ils pas été des personnes ayant vécu parmi les vivants avec
toute la dignité humaine ? « Car rien n’est jamais tout à fait fini, dans
le monde du cœur », selon l’auteur de Nam et Sylvie, un roman
d’amour autobiographique extraordinaire de Phạm Duy Khiêm.
On peut alors soutenir la
thèse d’après laquelle le culte des ancêtres (que d’aucuns persistent à
qualifier de superstitieux), prouve le respect dû à la valeur supra-temporelle par nos
compatriotes et qui s’éternise dans l’univers des mortels. Ā tel point que
« la faute la plus grave que puisse commettre un Vietnamien, c’est de ne
pas avoir d’enfant et de faire ainsi cesser les honneurs funèbres que réclament
les âmes errantes de ses ancêtres » (André Masson, Histoire du Vietnam,
P.U.F. Paris 1960, p. 55). D’autant plus que le culte des morts se trouve dans
une large mesure compatible avec la doctrine confucéenne qui insiste sur la
culture permanente de l’âme afin d’atteindre le parfait idéal de la raison
éternelle.
Toujours est-il que le
confucianisme, qui règle la conduite quotidienne du peuple vietnamien, propage
des idées aussi avancées que le christianisme relatives au problème humain. La
Personne et l’Amour occupent une place prédominante dans la pensée du Grand
Maître oriental. Selon lui, ce que Dieu nous a donné avant tout, c’est notre
humaine personnalité (Thiên mệnh chi vị tính), estimant par là que
l’homme est supérieur aux autres formes d’individus par sa dignité de personne.
Pour Confucius, l’idéal de raison ne doit pas s’éloigner du monde des
personnes. Car étant lui-même l’idéal de l’homme, il ne serait plus le
véritable idéal s’il n’admettait pas la valeur de la personne humaine (Đạo
bất viễn nhân, nhân chi vi đạo nhi viễn nhân bất khả dĩ vi đạo : littéralement,
la religion ne s’éloigne pas de l’homme, la religion de l’homme qui s’éloigne
de l’homme, n’est pas considérée comme une religion). Ainsi le respect de la
personne humaine nous apparaît comme le
point de rencontre des philosophies chrétienne et confucéenne. Le sage
de l’Orient n’a-t-il pas dit qu’il
existe une loi naturelle dans l’univers : « la loi de Dieu parce
qu’elle est éternelle » (Lin Yutang, La sagesse de Confucius, Ed. Victor Attinger,
Paris 1949, p. 192). D’où la
mission sacrée de l’homme d’ici-bas consiste à défendre ses droits naturels,
parce qu’en le faisant, « le vrai sage ne fait que suivre la loi
naturelle » (Lin Yutang, op. cit, p. 192).
En ce qui concerne la
conception confucéenne du gouvernement, l’homme (ou le citoyen ou le
peuple) doit rester le centre de toute organisation politique et sociale. Pour
Mencius le Grand disciple du Maître chinois, (qui vivait dans une période de
monarchie absolue et de féodalité) : Le peuple est l’élément qu’il faut
considérer en premier lieu, l’Etat ne se place qu’au deuxième rang, le
souverain quant à lui, se voit relégué au tout dernier…(Dân vi quí, xã
tắc thứ chi, quân vi khinh). Mencius considère ainsi le peuple comme l’eau
d’un fleuve sur laquelle vogue une barque, la barque de l’Etat dont le
passager est le souverain lui-même. Si la tempête se déchaîne, l’eau peut
renverser la barque qui doit couler en
emportant avec elle le passager. Cette métaphore du Grand disciple met en
relief la force considérable du peuple et l’influence de celui-ci sur le
gouvernement du pays. Elle oblige par conséquent l’Etat et le Souverain à agir
pour le peuple, pour le bonheur des hommes
qu’ils gouvernent et ce dans la justice et dans la dignité conformes à la loi divine. La personne
humaine revêt dès lors et sans aucun doute, un caractère sacré que le Grand Maître précise en ces
termes : « L’homme est la vertu du ciel et de la terre, l’union entre
la mort et la vie, la réunion du diable et de l’ange, l’essence suprême des
Cinq-Astres (Nhân giả, kỳ thiên địa chi đức, âm dương chi giao, quỉ thần chi
hội, ngũ hành chi tú khí giả) » (v. Revue Quê-HÜÖng, Septembre 1959,
p. 30). Nous en concluons que le personnalisme (qui n’osait pas dire son nom) a
toujours été présent dans la culture vietnamienne, essentiellement asiatique et
qu’il repose normalement sur la base du principe de la valeur suprême de l’homme.
Et le dernier réveil de l’humanisme
politique ( dans la Constitution
de la Première République du Vietnam, de 1956 à 1963) ne pouvait se justifier
que par son origine profondément orientale. Il s’agit d’un mélange lointain de
taoïsme, de bouddhisme et bien entendu de confucianisme s’ajoutant au culte
traditionnel des ancêtres, pour aboutir à une nouvelle théorie vietnamienne des
droits fondamentaux, à laquelle le concept chrétien de l’homme ne demeure pas
étranger.
Lê
Mộng Nguyên (Paris)
*Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, Professeur-Docteur
d’Etat ès sciences politiques, ancien avocat à la Cour de Paris…