23/9/16

41ème anniversaire de la mort du président Ngô Đình Diệm




A l’occasion du 41ème anniversaire
 de la mort du président Ngô Đình Diệm          
                                                               

Ayant foi en la pérennité de notre civilisation à base spiritualiste que tous les citoyens ont le devoir de faire rayonner ;
Ayant foi en la valeur transcendante dans la personne humaine dont le développement libre, harmonieux et complet sur le plan individuel comme sur le plan communautaire doit être l’objectif de toute activité étatique ;
                                            Conscients de ce que la Constitution doit satisfaire les aspirations de la Nation entière, de la pointe de Cà-Mau à la porte Nam-Quan, ces aspirations étant : …
                                           ………………………………..
… l’édification, dans le respect de la personne humaine, pour toutes les couches de la population, d’un régime de démocratie politique, économique, social et culturel ;
                                            ……………………………………
                                            NOUS, Membres de l’Assemblée Nationale Constituante,
Après délibérations, adoptons la Constitution……. (qui sera promulguée le 26 octobre 1956, date de la Première République du Vietnam) – Extraits du PREAMBULE de la Constitution.



        Le point de rencontre des philosophies occidentales et orientales :

          Du personnalisme d’inspiration chrétienne

                à l’humanisme politique vietnamien

                                                        Lê Mộng Nguyên *


Orient-Occident : c’est le choc des cultures mais c’est aussi la contribution, de par leur union,  à la renaissance de l’humanisme politique au Vietnam à un moment où la guerre fratricide entre le communisme athée au Nord du dix-septième parallèle et la République libérale du Sud dont le président Ngô Đình Diệm assuma entièrement le destin de 1954 à 1963. L’un des principaux thèmes de cette doctrine de l’homme, s’inspire  à la fois de l’Enseignement évangélique et de la Logique grecque (la vie communautaire connaissant son apothéose en Grèce antique) dans l’organisation platonicienne de la Cité. D’autre part, grâce au travail d’approfondissement purement chrétien, le personnalisme reconnaît l’autonomie et l’indépendance spirituelle de chaque personne. Deux idées à la fois nécessaires et suffisantes doivent constituer la charpente de la philosophie générale du personnalisme (ancêtre de la défense des droits de l’homme) : la reconnaissance de la valeur suprême de l’être humain et l’obligation naturelle pour celui-ci de vivre en société. L’origine lointaine du personnalisme vietnamien s’explique conséquemment par la distinction métaphysique entre la personne et l’individu ou encore entre la personnalité et l’individualité, et par le règlement des rapports de l’homme avec la communauté politique.

      C’est parce que Saint Thomas d’Aquin et les personnalistes de la lignée thomiste (d’inspiration évangélique) s’élèvent contre toute théorie sociale fondée sur la primauté de l’individu que nous devons séparer dès l’origine – et dans le principe même – l’individualité et la personnalité. L’expérience de l’individualisme excessif  des révolutionnaires français de 1789 a sans doute donné naissance au totalitarisme fondé à l’origine sur la vie communautaire en sacrifiant délibérément l’individu. De son côté, le personnalisme  chrétien prône la sauvegarde de la valeur humaine contre tout abus de l’individualisme pouvant mener à l’anarchie. Il lutte également contre toute conception exclusivement communautaire à laquelle adhèrent les régimes collectivistes. On peut, dès lors, résumer les grandes lignes  de la théorie du personnalisme classique dont s’inspire pour une large part l’humanisme politique vietnamien : reconnaissance de la valeur suprême de la personne humaine, respect par les autres de ses droits et intérêts, obligation pour elle de respecter les droits et intérêts d’autrui. Voilà les raisons pour lesquelles l’on peut affirmer que l’humanisme politique doit être à la fois personnaliste et communautaire.

       Mais pourquoi faut-il distinguer l’individualité de la personnalité ? Sans entrer dans les détails de la métaphysique, il faut bien convenir qu’il existe chez l’homme deux réalités distinctes : l’individuelle et la personnelle. C’est la distinction  faite par les philosophes personnalistes d’inspiration chrétienne notamment Jacques Maritain (réf. J. Maritain, Les droits de l’homme et la loi naturelle, P. Hartmann, éditeur, Paris 1947 ; Christianisme et démocratie, ibid. ; La personne et le bien commun, Desclée de Brower et Cie, éditeurs, Paris 1947 ; v. aussi E. Mounier, Le personnalisme, PUF, Paris 1959). Si l’homme n’est soucieux que de son côté individuel, il devient solitaire, renfermé, égoïste et méprisant la vie sociale. D’où « le moi est haïssable de Pascal », qui est à l’origine des excès des démocraties absolument individualistes. La prépondérance de la réalité personnelle par contre, fait de l’homme la source d’indépendance et de liberté en même temps que son plein épanouissement dans la société. Il communique ainsi librement avec l’Absolu, sa patrie spirituelle. Alors, on peut dire avec Saint Thomas d’Aquin (S. Théol., I, 29, 3) que « la personne est ce qu’il y a de plus noble et de plus parfait dans toute la nature ».

       Encore faut-il – en vue d’aboutir à un « humanisme intégral » - insister sur la discipline sociale que l’on doit exiger des citoyens obligés à vivre en relation étroite  avec la communauté politique. N’est-il pas vrai que la personne en tant  que telle, comporte l’élan vers autrui ? Elle dépasse l’individu précisément par son rôle qu’elle assume dans la société des hommes. C’est d’ailleurs une chose tout à fait naturelle. Car vivre en homme « sans aller parmi les hommes » et « sans respirer avec nos semblables » (J. Maritain, op. cit.), est absurde. Il s’ensuit que chaque personne a  normalement tendance à s’intégrer dans la communauté. Le mot d’Aristote « l’homme est un animal politique » signifierait alors que l’homme aimerait de préférence s’entourer d’humains, être parmi ses semblables. C’est  à cette conception communautaire tirée de la « logique grecque » que nous avons fait allusion au début  lorsque nous parlions de rencontre entre l’Occident et l’Orient. Confucius lui-même n’a-t-il pas rêvé de réaliser un monde universel où les hommes sont le bien commun (đại đạo chi hành dã, thiên hạ vị công) ? Donc, personnalisme implique communauté. La question se pose alors de savoir si l’homme est fait pour la société, ou inversement.

       Selon le capitalisme ou individualisme bourgeois, le bien commun n’étant que l’addition des biens individuels, l’Etat ne doit veiller qu’à la sécurité de chaque individu qui est quant à lui, libre de faire ce qu’il veut. Il en résulte que les forts peuvent opprimer les faibles : la société est faite pour l’homme. Dans la conception communiste, la société est plus importante que l’individu. Cette société matérialiste et athée constitue bien évidemment la finalité de chacun d’entre nous : « L’Etat garantit les droits du citoyen ; le citoyen doit remplir ses devoirs envers l’Etat et la société » (article 51, alinéa 2 de la Constitution du 15 avril 1992 de la RSVN). L’individu dans ce contexte doit naturellement tout sacrifier  pour la communauté : l’homme est fait pour la société. Ā en croire les tenants du personnalisme chrétien, les conceptions tant capitaliste que marxiste sur le bien commun, s’avèrent fausses parce qu’elles ignorent qu’il y  a deux réalités dans l’être humain : la personnelle et l’individuelle. Problème délicat auquel nous avons fait allusion plus haut.
       L’homme en raison de sa réalité personnelle, a  une âme qui n’est limitée par aucun Etat, par aucune société politique. Par là, il communie librement avec l’Eternité. Il en résulte l’erreur du  collectivisme étatique qui n’admet que la puissance temporelle, et l’abus de l’individualisme bourgeois dont les principes imposent au pouvoir la responsabilité de faire le bonheur d’une poignée d’individus se suffisant à eux-mêmes. Entre ces deux pôles, le personnalisme d’inspiration chrétienne préconise une politique à la fois personnaliste et communautaire, qui repose sur le respect de la personne humaine dans le respect corrélatif de  la communauté.

       Les origines de l’humanisme vietnamien résident probablement dans les pratiques rituelles ou dans les philosophies typiquement orientales. C’est pourquoi la théorie générale du personnalisme, qui puise son inspiration dans l’enseignement chrétien, ne doit sa profonde pénétration en Extrême-Orient qu’aux vertus millénaires des peuples d’Asie qui ont toujours reconnu la dignité humaine et cru en l’immortalité de l’âme et les qualités transcendantes de l’esprit. Nous ne parlerons pas – dans le cadre étroit de cet essai – des influences bouddhique et confucéenne dans la croyance populaire vietnamienne quant à la supériorité de l’âme sur la matière. Nous rechercherons seulement la source de l’humanisme vietnamien dans la conception asiatique de l’homme et laisserons toutes les questions pendantes à une prochaine étude plus étoffée.

       En effet, les Vietnamiens sont depuis toujours un peuple profondément croyant. Témoin leur pratique du culte des ancêtres, une pratique enracinée si l’on peut dire, dans les cœurs des familles les plus humbles et les plus modestes. Ā leurs proches disparus, nos compatriotes témoignent une très grande affection. Ils croient en l’éternité de l’esprit (chose immatérielle) et continuent  à vénérer leurs morts. Ces derniers n’ont-ils pas été des personnes ayant vécu parmi les vivants avec toute la dignité humaine ? « Car rien n’est jamais tout à fait fini, dans le monde du cœur », selon l’auteur de Nam et Sylvie, un roman d’amour autobiographique extraordinaire de Phạm Duy Khiêm.

       On peut alors soutenir la thèse d’après laquelle le culte des ancêtres (que d’aucuns persistent à qualifier de superstitieux), prouve le respect dû à  la valeur supra-temporelle par nos compatriotes et qui s’éternise dans l’univers des mortels. Ā tel point que « la faute la plus grave que puisse commettre un Vietnamien, c’est de ne pas avoir d’enfant et de faire ainsi cesser les honneurs funèbres que réclament les âmes errantes de ses ancêtres » (André Masson, Histoire du Vietnam, P.U.F. Paris 1960, p. 55). D’autant plus que le culte des morts se trouve dans une large mesure compatible avec la doctrine confucéenne qui insiste sur la culture permanente de l’âme afin d’atteindre le parfait idéal de la raison éternelle.

       Toujours est-il que le confucianisme, qui règle la conduite quotidienne du peuple vietnamien, propage des idées aussi avancées que le christianisme relatives au problème humain. La Personne et l’Amour occupent une place prédominante dans la pensée du Grand Maître oriental. Selon lui, ce que Dieu nous a donné avant tout, c’est notre humaine personnalité (Thiên mệnh chi vị tính), estimant par là que l’homme est supérieur aux autres formes d’individus par sa dignité de personne. Pour Confucius, l’idéal de raison ne doit pas s’éloigner du monde des personnes. Car étant lui-même l’idéal de l’homme, il ne serait plus le véritable idéal s’il n’admettait pas la valeur de la personne humaine (Đạo bất viễn nhân, nhân chi vi đạo nhi viễn nhân bất khả dĩ vi đạo : littéralement, la religion ne s’éloigne pas de l’homme, la religion de l’homme qui s’éloigne de l’homme, n’est pas considérée comme une religion). Ainsi le respect de la personne humaine nous apparaît comme le  point de rencontre des philosophies chrétienne et confucéenne. Le sage de l’Orient n’a-t-il pas dit  qu’il existe une loi naturelle dans l’univers : « la loi de Dieu parce qu’elle est éternelle » (Lin Yutang, La sagesse de Confucius, Ed. Victor Attinger, Paris 1949, p. 192). D’où la mission sacrée de l’homme d’ici-bas consiste à défendre ses droits naturels, parce qu’en le faisant, « le vrai sage ne fait que suivre la loi naturelle » (Lin Yutang, op. cit, p. 192).

       En ce qui concerne la conception confucéenne du gouvernement, l’homme (ou le citoyen ou le peuple) doit rester le centre de toute organisation politique et sociale. Pour Mencius le Grand disciple du Maître chinois, (qui vivait dans une période de monarchie absolue et de féodalité) : Le peuple est l’élément qu’il faut considérer en premier lieu, l’Etat ne se place qu’au deuxième rang, le souverain quant à lui, se voit relégué au tout dernier…(Dân vi quí, xã tắc thứ chi, quân vi khinh). Mencius considère ainsi le peuple comme l’eau d’un fleuve sur laquelle vogue une barque, la barque de l’Etat dont le passager est le souverain lui-même. Si la tempête se déchaîne, l’eau peut renverser la barque qui doit couler  en emportant avec elle le passager. Cette métaphore du Grand disciple met en relief la force considérable du peuple et l’influence de celui-ci sur le gouvernement du pays. Elle oblige par conséquent l’Etat et le Souverain à agir pour le peuple, pour le bonheur des hommes  qu’ils gouvernent et ce dans la justice et dans la dignité  conformes à la loi divine. La personne humaine revêt dès lors et sans aucun doute, un caractère  sacré que le Grand Maître précise en ces termes : « L’homme est la vertu du ciel et de la terre, l’union entre la mort et la vie, la réunion du diable et de l’ange, l’essence suprême des Cinq-Astres (Nhân giả, kỳ thiên địa chi đức, âm dương chi giao, quỉ thần chi hội, ngũ hành chi tú khí giả) » (v. Revue Quê-HÜÖng, Septembre 1959, p. 30). Nous en concluons que le personnalisme (qui n’osait pas dire son nom) a toujours été présent dans la culture vietnamienne, essentiellement asiatique et qu’il repose normalement sur la base du principe de la valeur suprême de l’homme. Et le dernier réveil de l’humanisme  politique  ( dans la Constitution de la Première République du Vietnam, de 1956 à 1963) ne pouvait se justifier que par son origine profondément orientale. Il s’agit d’un mélange lointain de taoïsme, de bouddhisme et bien entendu de confucianisme s’ajoutant au culte traditionnel des ancêtres, pour aboutir à une nouvelle théorie vietnamienne des droits fondamentaux, à laquelle le concept chrétien de l’homme ne demeure pas étranger.

                                                                                      Lê Mộng Nguyên (Paris)

*Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, Professeur-Docteur d’Etat ès sciences politiques, ancien avocat à la Cour de Paris…